domingo, 26 de marzo de 2017

Ostula: Défendre le territoire face au Narco-état

Ostula, défendre le territoire



Article de Dante A. Saucedo et Regina López, 
publié par l’agence SubVersiones 
le 22 février 2017
Traduction 7NubS sur cspcl

Un
Le 5 février dernier, cinq éléments de la police communautaire de la communauté de San Pedro Naranjestil, dans la municipalité d’Aquila, zone de la Costa-Sierra du Michoacán, ont été raptés par des soldats des forces de la Marine, avant d’être délivrés à une cellule du crime organisé opérant dans la région. En échange de leur libération, les leaders du groupe criminel ont sollicité la remise des armes et la dislocation du barrage filtrant maintenu par la police communautaire dans la communauté de Tizupan, située elle aussi dans la municipalité d’Aquila.
Immédiatement, les groupes de la police communautaire d’Aquila, Coahuayana et Chinicuila se sont mobilisés pour obtenir la libération d’Abigail Farías Fernán, Crispín Francisco de Aquino, Saúl Fabián Meraz Martínez, Eleno Valencia Zambrano et Francisco Carreón Valencia qui, en plus d’être de la police communautaire, travaillaient à Aquila comme policiers municipaux. En parallèle, le village nahua de Santa María Ostula a décidé d’installer un barrage sur la route fédérale 200 à la hauteur de la déviation conduisant au chef-lieu de la municipalité, à un endroit appelé Triques.
Le 8 février, la communauté a été informée de la libération des cinq policiers communautaires – avec la délivrance de deux autres personnes qui, selon certaines versions, auraient elles aussi été détenues. Le jour même, la communauté de Santa Maria Ostula a annoncé que la libération des personnes mentionnées était le résultat d’ « opérations conjointes et de négociations ». Le village d’Ostula a en même temps dénoncé que les autorités n’avaient arrêté aucun des responsables du rapt, ni n’avait fait la lumière sur le lien et la complicité manifeste des forces de la Marine dans les évènements survenus.
Au vu de ces exigences, la communauté d’Ostula a décidé de maintenir le barrage routier. Bien que la demande principale était d’exiger la libération des policiers communautaires séquestrés, à ces exigences avaient été directement jointes les exigences permanentes des habitantes et habitants d’Ostula : entre autre, la démilitarisation de la région de la Costa-Sierra, la dislocation du crime organisé dans la région, et justice pour les comuneras et comuneros assassinés et disparus au cours des années précédentes.
Deux
Pour le village organisé de Santa María Ostula, il est clair que cette attaque n’est pas un « fait isolé » et qu’au contraire, elle prend place dans un contexte de réarticulation et de contre-offensive des cellules du crime organisé de la Costa-Sierra du Michoacán, dirigés par Federico González, alias Lico, Jesús Cruz Virrueta alias Chuy Playas, Fernando Cruz Mendoza alias El Tena et José María Cruz alias El Tunco.
En 2014, le mouvement des auto-défenses – dont le noyau dans la région était la Garde communale de Santa María Ostula— avait réussi à nettoyer la région et à désarticuler les cellules criminelles du cartel des Caballeros Templarios [1] qui opéraient dans les muncipalités d’Aquila, Coahuayana, Chinicuila et Coalcomán. A ce moment-là, l’avancée des polices communautaires avait réussi à atteindre Caleta de Campos, à quelques kilomètres au nord du port de Lázaro Cárdenas [2] .
Dans ce contexte, le Commissaire pour la Paix et la Sécurité et la Développement intégral du Michoacán, Alfredo Castillo, impulsait la régularisation des auto-défenses et des polices communautaires dans tout l’Etat, suivant une stratégie de prise de contrôle de la région par l’exécutif fédéral. C’est alors qu’a été créée ce qui a été dénommé La Force Rurale – dissoute en 2016 pour laisser place aux corporations policières régies par le Commandement unique – afin d’incorporer en son sein les membres du mouvement des auto-défenses. Dans les régions où étaient présents la police communautaire ou des gardes communales, les membres ayant intégré les corporations de sécurité officielle ont également souvent maintenu leurs charges communautaires. C’est par exemple le cas des cinq communautaires enlevés le 5 février dernier.
Depuis lors, l’organisation de sécurité communautaire a réussi à maintenir hors de son territoire les groupes du crime organisé. Cependant, grâce à l’inaction et avec la complicité des trois niveaux de gouvernement (municipal, étatique et fédéral), les ex-leaders des Templarios et leurs anciens alliés politiques – tous pleinement identifiés et dénoncés par les communautés de la Costa-Sierra— ont mis en place un processus de réarticulation et de contre-offensive.
Depuis début 2016 au moins, les groupes de sécurité communautaire de Coahuayana, Chinicuila et Aquila — auxquels s’intègre la Garde communale de Santa María Ostula— ont dénoncé la hausse des actions de harcèlement contre elles, ainsi que l’avancée territoriale des groupes du crime organisé et de leurs caciques et alliés politiques. La communauté d’Ostula a fait part d’au moins quatre embuscades et attaques armées contre les groupes de sécurité communautaires ; parmi celles-ci, l’enlèvement et l’assassinat de Luis Olascón Mendoza et Juan Cruz Montejano, tous deux policiers communautaires de San Pedro Naranjestil.
Au-delà des agressions du crime organisé, le village de Santa María Ostula a été victime de la violence et des omissions des Forces Armées de l’Etat mexicain. En juin 2015, ce sont des balles de l’armée qui ont assassiné le petit Hidelberto Reyes García, âgé d’à peine 12 ans, dans la communauté d’Ixtapilla. Et dans la mémoire de la communauté résonne encore l’assassinat de Don Trino, perpétré par un groupe criminel avec l’inaction complice des soldats de la Marine, situés à quelques centaines de mètres de là.
Il est important de souligner que depuis environ un an, toutes les agressions ont eu lieu dans la zone sud de la municipalité d’Aquila, autour du filtre communautaire de Tizupan qui, jusqu’à aujourd’hui, marque la limite du territoire contrôlé par la sécurité communautaire. L’agression du 5 février apparaît ainsi comme la plus récente d’une série d’attaques cherchant à faire se replier les polices communautaires et les gardes communales vers le nord.
L’intention des leaders du crime organisé était claire : retourner sur les territoires que la résistance organisée de Santa María Ostula a réussi à récupérer et à défendre. Les ex-leaders des Caballeros Templarios, avec l’appui de Juan Hernández, ex président municipal d’Aquila, prétendent revenir contrôler la spoliation et l’exploitation des biens communaux dans la région. Pour le village nahua de Santa María Ostula cependant, la terre est bien plus qu’un gisement de minerais ou des ressources forestières. La communauté sait que son territoire est la source et l’espace où se déploie la vie collective, et c’est cela, ce que tout le monde s’organise pour arriver à défendre.
Trois
Sur le blocage de route maintenu sur la route fédérale 200, les savoirs accumulés par le village d’Ostula au cours de dizaines d’années de lutte et de résistance sont directement mis en pratique. Avec une rapidité surprenante, sont montés des enramadas – toits de palme servant à se protéger du soleil intense de la côte – et chacun se met à tisser des hamacs pour rendre moins pénibles les longues heures de garde.
Sur les lieux où le transit de la route 200 est interrompu, les comuneros communiquent entre eux par radio pour organiser le passage et le rythme des coupures du trafic. Aucun véhicule n’est détenu plus d’une demi-heure ; le passage n’est complètement interdit qu’aux camions transportant les marchandises de la société minière Ternium – symbole de la spoliation capitaliste dans la région- et à ceux se dirigeant vers le port de Lázaro Cárdenas.
Pendant ce temps, la vie et les travaux quotidiens se poursuivent dans les encargaturas, les différents hameaux conformant le territoire d’Ostula. Chacune d’entre elles – nous explique un comunero- se divise en trois parties : deux qui se dirigent au blocage, tandis que la troisième réalise les faenas, les travaux collectifs nécessaires au travail de la terre. « Nous, on pense qu’on peut tenir des années ainsi […] en maintenant notre lutte, notre mouvement ». Malgré la fatigue physique qu’implique le fait de tenir le blocage, la communauté maintient l’effort, sachant bien que ce n’est qu’un moment de la longue lutte pour la défense de leur terre et de leur vie.
Bien que les demandes d’Ostula impliquent la désarticulation du crime organisé dans la région, la vision d’un village organisé est radicalement distincte de celle des forces de l’Etat : la communauté sait que la détention des malandrins n’est pas une simple affaire de « sécurité publique ». En maintenant et en défendant le système de sécurité communautaire, les habitantes et habitants d’Ostula défendent la forme de vie communale que le crime organisé, le modèle économique extractiviste et l’Etat mexicain ont tenté de destituer. En une simple phrase, un comunero le résume ainsi : « nous, on ne veut pas disparaître, on veut continuer à exister comme communauté ».
A près de deux semaines de la libération des cinq policiers communautaires enlevés, aucun des trois niveaux de gouvernement ne s’est mobilisé pour arrêter les leaders du crime organisé. Le blocage de la route 200 a finalement été arrêté, mais Ostula se maintient en alerte permanente, et sur le filtre communautaire de Xayacalan une garde d’au moins 300 personnes a été installée. Depuis cet endroit un appui logistique et moral est amené aux gardes communautaires qui se sont posés au sud pour assurer le travail de sécurité que l’Etat mexicain continue de ne pas réaliser.
La communauté d’Ostula sait que la contre-offensive du crime organisé implique le retour de la spoliation et du mépris que représentent les projets extractivistes impulsés par les caciques et les politiques de la région. « Les choses avancent. Lentement, pas comme on le voudrait, mais elles avancent », nous dit un comunero. La lutte est longue, mais l’attachement à son territoire et le souvenir des luttes qui leur ont permis de maintenir leurs formes de vie collective amènent au village nahua d’Ostula la force nécessaire pour continuer leur résistance.
(d’autres photos et vidéos joints à cet article sont consultables sur le site de SubVersiones.

NOTE : face aux menaces actuelles et pour soutenir les mobilisations et la construction de l’autonomie à Ostula, une collecte de fonds est en cours au Mexique, notamment au sein du CNI. Les détails concernant cette collecte ont été communiqués dans le dernier communiqué de la communauté

[1« les chevaliers du Temple », cartel ayant fait régner la terreur sur le Michoacán à partir de 2005
[2port sidérurgique stratégique de la côte pacifique du Mexique, tant pour le trafic de drogues que pour l’exportation de minerais

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